Interview d'André Brasilier dans son atelier
Né en 1929 d'une famille d'artistes, André Brasilier conçoit depuis plus d'un demi-siècle une oeuvre picturale remarquable, subtile mélange d'abstraction, d'expressionnisme, et de style personnel. Ses oeuvres mettent régulièrement en scène des thèmes et motifs tels que la nature, les chevaux, la musique, et la femme. L'art de Brasilier est réputé dans le monde entier, tant en Europe, qu'au Japon et aux Etats-Unis. En 2005, il a fait l'objet d'une grande rétrospective à Saint-Pétersbourg, au prestigieux musée de l'Ermitage. Au cours d'un entretien exclusif accordé à l'équipe Net Cristal, il retrace pour vous, lecteurs, quelques-unes des étapes de son parcours d'artiste. Il confie également ses positions sur l'art en général, et nous présente son actualité pour l'année à venir.
A l’automne 2005, le musée de l’Ermitage vous a consacré une grande exposition-rétrospective pour la période 1950 - 2004. Voir ses œuvres exposées, de son vivant, dans un musée aussi prestigieux, n’est-ce pas le rêve de tout artiste-peintre ?
C’est vrai, j’ai vécu là une expérience unique. Au départ, j’ai eu la chance de rencontrer Mikhaïl Piotrovski, le directeur du musée de l’Ermitage, qui, en découvrant ma peinture, a voulu en savoir un peu plus sur mon parcours. Il a consulté le catalogue raisonné de mes œuvres depuis mes débuts. Puis, au fil de nos discussions, nous avons envisagé cette exposition. Vu l’ampleur de l’événement, j’ai parfois eu des doutes sur l’aboutissement de ce projet. Mais finalement l’exposition a bien eu lieu, et elle a été pour moi la source d’une très grande satisfaction. Elle m’a aussi permis de rencontrer des amateurs d’art du monde entier. Des Japonais m’ont même proposé d’exposer mes œuvres à l'Espace Mitsukoshi-Etoile, situé place de l'Etoile. Ainsi, une exposition organisée à Saint-Pétersbourg va m’ouvrir les portes d'un lieu de prestige au coeur de Paris, et jusque-là réservé à la culture japonaise. Plutôt étonnant, non ?
Il existe des thèmes majeurs dans votre peinture comme la femme, la musique, le cheval et la nature… Pourriez-vous nous en dire plus ?
J’aime peindre la figure humaine. Selon moi, on mesure l’importance d’un peintre à sa capacité à traiter cette figure humaine. Regardez à quel point la « figure » a permis à des peintres comme Picasso, de Stael ou Bacon de se placer au-dessus de leurs contemporains. J’aime avant tout la vie, et sous toutes ses formes. La musique en est une aussi, que j’apprécie tout particulièrement. Ma première exposition en 1959 portait d’ailleurs le titre « Autour de la musique ». Depuis, j’ai toujours aimé travailler sur ce thème. Tout est beau dans la musique, la discipline de l’orchestre, l’harmonie d’un quatuor … Quant à la nature, j’ai toujours aimé les paysages, les scènes champêtres. Je me souviens de mes premières impressions devant des scènes de campagne, comme des bœufs tirant une charrue dans les labours… Quant au cheval, j’aime beaucoup l’animal, autant pour sa beauté que pour l’harmonie qu’il forme avec la nature. Au milieu de cette nature, le cheval donne une échelle. Il offre des propositions plastiques intéressantes avec la mer et le ciel par exemple. J’aime la vie, et le cheval, avec sa plastique et sa fougue, me ravit.
Tout jeune artiste, après votre séjour à la Villa Médicis, vous décidez de partir découvrir le monde. Quel était votre état d’esprit et comment travailliez-vous alors ?
Je voulais en effet découvrir le monde. J’ai donc beaucoup voyagé en Europe : Hollande, Allemagne, Norvège, Suède, etc. Je vivais sur place. A l’époque, je peignais devant motifs. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Lorsque je vois un motif qui m’intéresse, je prends des notes, et je retranscris plus tard mes impressions devant la toile. Selon moi, le tableau est un fait plastique, il doit représenter une émotion née de la vie. Dans mes toiles, j’essaie d’établir une harmonie entre les deux.
A la lecture de votre biographie, on voit que les Européens et les Américains apprécient beaucoup votre peinture. Mais les Japonais en sont également très friands, et pourtant leur culture est bien différente de la nôtre. Comment expliquez-vous cela ?
Je pense que cela tient à mon mode d’expression, à ma manière de traiter la couleur, et surtout à mon goût pour l’ellipse. Je ne suis absolument pas un peintre réaliste. J’aime que les choses soient suggérées, et même qu’elles paraissent mystérieuses. J’ai l’esprit qui simplifie. J’essaie toujours de donner la quintessence avec peu d’effet, de dire beaucoup avec peu, à la manière des artistes Japonais qui se concentrent sur le dépouillement. J’avais déjà cette inclination durant mes études aux Beaux-Arts. Mais avant toutes choses, ce qui importe pour moi, c’est la composition. Avant toute ébauche, j’essaie de composer la toile dans mon esprit. Si la composition est à la base même de toute peinture, au final, elle doit se faire oublier, le public ne doit pas la remarquer. Tout cela caractérise ma peinture, et lui permet sans doute de sensibiliser des personnes de cultures différentes.
Vos toiles sont souvent de grandes dimensions. Auriez-vous une préférence pour le grand format ?
Oui, sans aucun doute, j’aime m’exprimer en grand. J’aime avoir le geste ample et généreux. D’ailleurs je ne réfute pas le tachisme pour caractériser mes oeuvres. Par contre, je ne suis pas un miniaturiste, ma nature ne m’y porte pas. Selon moi, la portée d’une œuvre de grande dimension permet au spectateur de mieux s’en imprégner. Une grande toile peut même exercer un pouvoir envoûtant sur celui qui la contemple. Certains sujets imposent des grandes dimensions. Mais le choix des grandes dimensions tient surtout à ma recherche de spontanéité dans les gestes. Quand je peins, je veux sentir de la vie dans mes mouvements, comme il en existe dans le galop d’un cheval ou dans le ressac de la mer.
Dans le passé, vous avez réalisé des œuvres non picturales, comme en 1985, les décors et costumes d’une pièce de théâtre, et même une mosaïque en 1987. Etes-vous toujours ouvert à d’autres modes d’expression ?
En 1985, mon ami Pierre Jourdan, metteur en scène de théâtre, m’avait donné carte blanche pour concevoir les décors et costumes de « Ciboulette », une pièce de Reynaldo Hahn. La pièce s’est jouée dans le cadre grandiose de l’Opéra Garnier de Monte Carlo. Je me rappelle avoir peint certains décors pendant les répétitions, devant les acteurs. Ce fut une expérience insolite et très intéressante. J’ai eu une autre expérience similaire au théâtre de Compiègne pour la pièce « Mignon » d’Ambroise Thomas. Plutôt que d’adopter un décor de ville qui ne m’inspirait pas du tout, j’ai décidé d'adopter un paysage naturel, avec rocher et lierre. Le décor a plu semble t’il, et l'on m'a demandé par la suite de réaliser la décoration du rideau de sécurité qui est actuellement en place. Pour ce qui concerne la mosaïque, en 1987 j’ai en effet réalisé pour un ami allemand un dessin destiné à sa propriété provençale, à Vence. Expérience intéressante, et pour le moins inhabituelle là encore.
Dans les années 1980, vous avez adopté un nouveau mode d’expression : la peinture sur céramique. Mais vous avez finalement arrêté cette activité. Pensez-vous la reprendre un jour prochain ?
Il y a quelques années, j’ai réalisé en effet des céramiques à Vallauris. Mais j’ai dû l’arrêter momentanément car j’avais le sentiment de ne pas en contrôler la diffusion. Si j’en ai toujours la force, j’aimerais reprendre cette activité, en ne produisant que des pièces uniques. La poterie m’intéresse beaucoup car j’aime ces formes inhabituelles pour un peintre, et parfois même très bizarres. J’aime que ces formes me guident dans la création, et qu’au final, elles se fassent oublier au profit du seul dessin.
Avez-vous en tête à d’autres expériences artistiques ?
J’ai vécu récemment une expérience enthousiasmante et peu banale dans le domaine de l’art campanaire (art des cloches). J’ai réalisé un dessin pour la cathédrale Saint-Etienne de Toulouse, dédiée à Marie. Le dessin est une évocation de la vierge Marie, destinée à orner une cloche d’une tonne et demie nichée dans le campanile de la cathédrale. Ce fut une découverte étonnante pour moi d’assister à la fonte de cette cloche, à sa bénédiction par l’évêque de Toulouse, et à son installation dans le clocher. Par la suite, j’ai réalisé d’autres dessins pour des églises du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, notamment à Rocamadour. Et je vis actuellement une autre expérience particulièrement enrichissante : je suis chargé de réaliser la décoration intérieure de la chapelle d’Arnac Pompadour, un petit village de Corrèze. Bien que de petite taille, cette chapelle constitue un vrai défi pour un peintre. Ce travail est vraiment passionnant.
Avez-vous toujours l’envie de peindre ?
Je peins en permanence. Et si je ne suis pas devant une toile, j’ai toujours sur moi des feuilles de papier pour prendre des notes, et consigner les idées qui me viennent à l’esprit. Je les consulte par la suite lorsque je commence une nouvelle toile. La peinture est ma vie.
|